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La Guerre d'Algérie

19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 15:14

 

Cardinal Philippe Barbarin

 

Lyon, Primatiale St Jean, le 30 août 2013

Romains 8, 14…35, Jean 12, 24-28

Madame, chers frères et soeurs

 

,

«

 

Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

La dernière phrase de l’Evangile qui vient d’être proclamé ne parle pas du commandant Hélie Denoix de Saint Marc, bien sûr, mais elle nous touche profondément en ce moment !

Cette voix réconfortante qui vient du ciel répond à une demande angoissée de Jésus. «

 

Maintenant, je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non, c’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci. Père, glorifie ton nom ! » Le Seigneur n’a pas caché son angoisse devant les souffrances de la vie et à l’approche de sa Passion. Nous sommes ici à la fin du chapitre 12 de l’Evangile de St Jean, et les lignes qui suivent sont justement celles de l’heure des ténèbres où Jésus s’écriera : « Mon Père, mon Père pourquoi m’as-tu abandonné ?

»

Frères et soeurs, ce texte de l’Evangile et les lectures de la Messe ont été choisis par Madame de Saint Marc et ses filles. On pourrait leur demander les raisons de leur choix. En préparant cette Messe, dans la prière, je me suis interrogé à ce sujet et j’ai pensé qu’elles voulaient, sans doute, évoquer la lumière qui émane de la vie de celui qui nous rassemble dans la Primatiale saint Jean-Baptiste, cet après-midi.

C’est d’abord un texte vigoureux de Saint Paul, dans l’épître aux Romains, que nous avons entendu. Il offre un regard général sur les souffrances du temps présent et même sur l’ensemble de la création :

 

« Oui, nous le savons bien la création tout entière crie sa souffrance. Elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » Saint Paul ne veut pas les cacher, mais il crie plus fort encore son espérance : « Il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous.

»

A vrai dire, j’attendais que vous choisissiez l’Evangile du centurion, un soldat romain dont la droiture fait toujours notre admiration.

 Dans « Les Champs de braises1 », Hélie de Saint Marc, jeune officier, émerveillé par la mission qui lui est confiée, s’écrie : « Lors d’un assaut, le pouvoir d’un commandant de compagnie était impressionnant. La vie d’une centaine d’hommes dépendait de mon jugement. Je disais ‘’Va’’, et le légionnaire allait, sans un murmure, sans un mouvement de recul2

. » On a vraiment l’impression d’entendre la voix du centurion s’adressant à Jésus (cf. Luc 7, 1-10).

1

 

Hélie de Saint Marc, Les Champs de braises, mémoires,

Perrin, 1995.

2

 

Ibid.,

p.137.

Eh bien non, vous avez souhaité nous offrir une perspective plus haute en nous emmenant sur l’un des sommets de l’Evangile qui surplombe toute la vie de Jésus. Vous nous invitez aussi à relire ce passage où Paul regarde non seulement les souffrances de sa vie ou celles des jeunes communautés chrétiennes, mais la création tout entière. Quelle hauteur de vue, quand il conclut par cette profession de foi : «

 

Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? J’en ai la certitude, ni la mort, ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur.

» Grâce à vous, c’est donc avec cette lumière que nous regardons, aujourd’hui, la vie d’Hélie de Saint Marc.

Nous voici donc en compagnie de Jésus qui, à la veille de sa Passion, est envahi par les ténèbres et ne trouve plus ses mots. Vous l’avez entendu : « J

 

e suis bouleversé, que puis-je dire ? Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non ! » Ce serait se mettre en contradiction avec la logique et la lumière de tout ce qui a guidé sa vie. Il ne cache pas qu’il est perdu, et il est difficile pour nous, ses disciples, de percevoir le désarroi de notre Maître. Sa demande est belle ; nous l’entendons comme un appel à l’aide, un cri : « Père, glorifie ton fils ! » Ces mots sont tout proches de la première demande du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié ! » que, bien souvent, nous disons machinalement car elle est trop élevée pour nous. Les anges chantent le nom très saint de Dieu (cf. Is 6, 3), mais nous, nous sommes plus à l’aise pour demander le pain ou le pardon, pour avoir la force de faire sa volonté ou de résister à la tentation … Nous savons parler de choses concrètes, mais sanctifier, glorifier le nom de Dieu, c’est un horizon qui ne nous est ni naturel ni familier, qui est nous dépasse complètement !

3

C’est pourtant à ce rendez-vous que vous avez voulu nous conduire. Hélie de Saint Marc disait qu’il voyait plus facilement le mal que la présence de Dieu. Il avait une foi difficile, sinon douloureuse. Il n’affirmait guère qu’il croyait en la résurrection, mais préférait dire : « Je n’ai pas d’autre solution ! ». Il voulait vivre et mourir dans la logique de cette foi, trésor reçu de sa mère. Dans une conversation avec un moine, ce dernier parvient à le réconforter en disant : « Ne vous en faites pas, c’est une grâce ! Certains ont une foi simple et lumineuse, tandis que d’autres avancent dans l’obscurité, en attendant que l’astre du matin se lève dans leurs coeurs (cf. 2 P 1, 19). Moi, par exemple, en l’espace d’une heure, j’ai peut-être une minute de foi pour cinquante-neuf de doute ou de ténèbres. Mais dans cette minute, quelle fulgurance, quelle lumière ! Et cela me suffit pour avancer. »

Ce passage de l’Evangile éclaire toute la vie de Jésus, nous permet de rendre grâce pour celle d’Hélie de Saint-Marc et interroge la nôtre : Est-ce que ma vie glorifie le nom de Dieu ? Est-ce que je sanctifie Son nom ? C’est une question à laquelle il nous est difficile, voire impossible de répondre. C’est pourquoi la réponse ne peut venir que d’en haut. Une voix se fait entendre du ciel, qui nous réconforte : «

 

Je l’ai glorifié.» D’un seul coup, s’illumine toute la vie de Jésus, même si elle semble se terminer dans l’ignominie. Mais le message ne s’arrête pas là : «…et je le glorifierai encore

. » Merci, Seigneur, pour ce futur ! Nous ne sommes pas là seulement pour faire le bilan du passé, mais nous avons l’assurance qu’il y a encore beaucoup à recevoir. Jésus avait promis l’envoi de l’Esprit-Saint pour nous enseigner, nous rappeler et nous conduire vers la vérité tout entière (cf. Jn 14, 26 ; 16, 13).

La vie d’Hélie de Saint Marc, beaucoup l’ont évoquée ces jours derniers, et d’autres l’évoqueront mieux que moi, par exemple, dans un moment, sur le parvis de la cathédrale. Des noms de lieux se bousculent : Bordeaux et la Dordogne, Buchenwald et Langenstein, l’Indochine et le village de Talung, un nom brûlant qui restera marqué au fer rouge dans sa mémoire, Coëtquidan et Perpignan, Zéralda et Alger, le lieu de la fracture et de la rupture. Puis, la Santé, Clervaux, Tulle, ces prisons évoquées par ses filles au début de la Messe, puis le premier Noël de retrouvailles en famille, près de Nantes. Et Lyon, depuis cinq décennies - quelle joie, quel honneur pour notre ville ! - avec, en retrait, la

 

 

Garde-Adhémar, lieu d’affection familiale, d’amitié, de repos… C’est là justement que, le 26 août, Hélie de Saint Marc est entré dans le repos éternel.

 

Des noms de personnes, il y en a beaucoup aussi. On peut les retrouver dans ses livres, ses mémoires. Je n’en ai retenu qu’un, celui qui m’a semblé revenir le plus souvent, toujours évoqué avec grande émotion : l’adjudant Bonnin, mort en Indochine, « la plus belle figure militaire que j’ai rencontrée

 

3

», écrit-il.

 

3

 

Ibid.,  

p. 282, 143.

 

4

 

Ibid. 

, p. 285.

 

5

 

Ibid. 

, p. 136.

 

 

Aujourd’hui Hélie de Saint-Marc se tourne vers Dieu, et nous l’entendons demander : « Père, est-ce que ton nom a été sanctifié, glorifié dans ces lieux et aux différents étapes de ma vie ? » Certes, la réponse nous échappe. Ici, nous sommes réunis pour demander à Dieu qu’Il fasse miséricorde à ce frère qui se présente aujourd’hui devant lui. Mais, dans l’espérance, nous osons croire qu’il l’accueille en lui disant : Oui, j’étais là, présent, même si tu ne me voyais pas. Mon nom «

 

je l’ai glorifié » au long de ta route humaine « et je le glorifierai encore  

». Sois en paix pour le passé, et réjouis-toi pour le futur … Quel réconfort pour Hélie de Saint Marc, et quel message stimulant pour nous qui faisons un avec lui, à cette heure !

Ce ne sont pas seulement des noms de lieux ou de personnes qui sont restés gravés dans sa mémoire. Il était aussi habité par des valeurs essentielles, qui formaient les piliers mêmes de son existence. Nous les connaissons tous. J’ai essayé de les noter comme ils me venaient à l’esprit : l’honneur et la fidélité, c’est la devise de la Légion ; l’engagement et le courage : « De toutes les vertus, la plus importante me paraît être le courage, les courages, surtout celui dont on ne parle pas et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse », écrit-il dans cette lettre à un jeune homme de 20 ans, qui a été reproduite au dos de vos livrets : message si forts, rempli d’espérance, tellement précieux pour nous !

Il faut évoquer aussi la justice et la loi - justice des hommes et justice de Dieu - avec cette grande question qui le tenaillait : « Comment juger ceux qui nous ont jugés

 

4 ? » Et puis, la dignité et la liberté, la guerre pour laquelle il exprime toute son horreur : « La guerre est un mal absolu5 .» « Les combats

5

 

que j’ai connus de 1950 à 1953 [en Indochine] furent d’une âpreté et d’une violence que je n’ai jamais retrouvées durant ma carrière militaire.

 

6 » Et la paix surtout ; Hélie de Saint Marc était un disciple du « Prince de la paix », un serviteur de la paix, à qui s’adresse cette belle promesse : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu »  

(Mt 5, 9).

 

6

 

Ibid.,  

p. 136.

 

7

 

Ibid. 

, p. 281.

 

8

 

Ibid. 

, p. 265

 

J’ai gardé pour la fin le mot qui me touche le plus : la responsabilité. En fait, cet homme a assumé tout ce qu’il a fait, et s’est toujours montré prêt à en rendre compte quand on le lui demandait. Au moment de se présenter au tribunal, il écrit : « Je connaissais la gravité de mon acte

 

7.» Il explique qu’il a agi comme il pensait devoir le faire : « J’ai préféré le crime de l’illégalité au crime de l’inhumanité.8

» Mais, dans la finesse de son intelligence et son respect d’autrui, il ajoute : « Je comprends que d’autres aient agi autrement. Ils ont aussi leurs raisons et leurs manières de voir les choses. »

Dire qu’il a assumé ses responsabilités, cela signifie que jamais, il n’a rejeté la responsabilité sur une autorité supérieure avec laquelle il aurait été en désaccord. Il a fait ce qu’il pensait devoir faire, à la lumière de sa conscience. La situation dans laquelle il se trouvait, au cours de sa mission, était comme un rendez-vous avec l’histoire : « Ce qu’aujourd’hui je dois faire, je l’assume. » A plus forte raison, jamais, au grand jamais, il n’a reporté la responsabilité sur ses subordonnés. Ils ne sont coupables de rien, affirme-t-il, ils m’ont obéi. C’est moi qui les ai entraînés dans la rébellion, et toute la responsabilité de leurs actes me revient ; je sais ce que j’ai fait.

Frères et soeurs, aujourd’hui est arrivé le jour où ce mot de responsabilité prend pour lui tout son sens. Oui, il a à répondre de sa vie devant Dieu, comme nous aurons tous à le faire un jour, quand sonnera notre heure et lorsqu’à la fin des temps, le Seigneur « viendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts », comme dit le

 

 

Credo. Mais Dieu n’est pas un juge comme les autres, il est d’abord un père qui voit, qui sait et qui comprend. Il connaît le coeur de ses enfants et il juge en toute justice, selon la miséricorde et la vérité. Dieu est un Père devant qui il suffit de se présenter avec droiture, en

6

 

reconnaissant notre misère ou en confessant nos péchés, avec tout l’élan de notre amour et l’enthousiasme qui habite nos coeurs.

Tous ces mots qui marquent l’existence d’Hélie de Saint Marc ne sont pas seulement ceux de la seconde guerre mondiale, de l’Indochine, de la guerre d’Algérie. Ce sont des mots qui traversent les siècles et les aléas de l’histoire, nous le savons et ils ont leur force et leurs exigences en 2013, comme ils les auront dans la société de demain. La résistance n’est pas seulement un fait du passé ; aujourd’hui encore, elle est un appel intérieur lorsque l’objection de conscience nous interdit de pactiser avec l’injustice ou le mensonge ou le crime… « Les sentinelles du soir » sont-elles sans rapport avec « les veilleurs » qui ont surgi dans notre société, ces derniers mois

 

9

?

 

9

 

Hélie de Saint Marc, Les sentinelles du soir 

, Les Arènes, 1999.

 

10

 

Début de la lettre

« Que dire à un homme de 20 ans ? »

 

11

 

Toute une vie,  

Les Arènes 2010.

 

*

Dans son coeur, il y avait le silence, l’amour, le respect… et beaucoup de points d’interrogation : « Quand on a connu tout et le contraire de tout…

 

10 » Mais Hélie de Saint Marc est toujours resté habité par l’espérance. « L’espérance ne m’a jamais quitté, même au comble de la souffrance. Une flamme fragile, minuscule, chancelante, mais si bouleversante dans la nuit humaine 11. »

Quand on ne comprend plus rien de cette vie, de l’agissement des hommes et de sa propre action, il faut choisir entre ‘’l’absurde et le mystère’’, disait Jean Guitton. Il a clairement choisi le second, et c’est cela qui lui a ouvert le chemin de l’espérance. Quelle force émane d’une existence si chahutée et si droite, si douloureuse et lumineuse à la fois ! Que cette espérance emplisse votre prière, ce soir, frères et soeurs. Ne doutez pas qu’ils sont vivants, aujourd’hui et toujours, ceux qui nous quittés. Tout à l’heure, dans la préface de cette Messe des défunts, j’aurai grande joie à chanter : « Car pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée. »

Hélie de Saint-Marc reste présent à nos vies, à chacun des membres de sa famille, à ses amis et à son pays qu’il a tant aimé. On pourrait ajouter le Vietnam et l’Algérie, ses frères et soeurs du monde entier, qu’il a toujours voulu aimer et servir. Il continuera, comme l’ont dit ses filles au début de la Messe, d’être attentif à nous tous, et actif comme l’était Ste Thérèse qui promettait,

 

7

peu de temps avant de mourir, de « passer son ciel à faire du bien sur la terre ».

J’ai commencé, frères et soeurs, par les derniers mots de l’Evangile que nous venions d’entendre ; je terminerai par la première phrase des lectures qui nous ont été offertes. C’est un message clair et encourageant pour ceux qui veulent avancer dans la vie comme des enfants de Dieu ! Il nous dit à quelle condition nous pourrons, nous aussi, être des rayons de lumière et amener d’autres à vivre l’action de grâce qui habite nos coeurs aujourd’hui :

«

 

 

Frères, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont vraiment fils de Dieu.».

 

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