Rappelons-nous la naissance du Rafale. Dans une compétition européenne au début des années 80, le duo Dassault/Hernu (alors ministre de la Défense de Mitterrand), n’obtenant pas la maîtrise d’œuvre dans un partenariat européen, se retirait pour faire bande à part tricolore et développer l’avion 100 % français, en concurrence frontale avec l’Eurofighter.
Cet imperium, que l’on pouvait légitimement comprendre étant donné la qualité du bureau d’études et l’expertise reconnue des avions Marcel-Dassault, s’appuyait aussi sur un projet assez différent, tradition bien nationale du produit le plus sophistiqué et polyvalent, satisfaisant davantage le cercle des ingénieurs militaires de la DGA et de leurs comparses civils, tous formés dans les mêmes grandes écoles et adeptes du nec plus ultra. Ce que d’aucuns ont nommé le complexe « militaro-industriel », moins militaire que clanique…
Car le besoin des utilisateurs était d’abord des avions répondant à des opérations précises, avec les meilleures performances pour ces objectifs, et disponibles en nombre adéquat.
La tradition de l’avion multirôle capable de répondre à la totalité du spectre des missions allouées aux pilotes de chasse, avec un argument d’économie d’échelle pour la production et la maintenance, conduit en réalité au développement d’un appareil très sophistiqué et extrêmement cher dont le Rafale marque l’apogée après la lignée des Mirage III et Mirage 2000. Une exception avait marqué cette politique avec un chasseur-bombardier, le Jaguar, développé avec les Britanniques, qui a connu une vie plus brève que nos célébrissimes Delta, peut-être, mais pas seulement, pour confirmer le bien-fondé de ce concept opérationnel…
Avec le Rafale, les pilotes de l’aéronavale embarquaient pour la première fois dans le même cockpit que ceux de l’armée de l’air, non sans avoir prescrit les exigences techniques d’un appareil capable d’opération sur porte-avions, autre fleuron grandiose, mais orphelin, de nos forces armées…
Compte tenu des contraintes économiques successives de plus en plus prégnantes autour de ce fastueux programme, ce n’est qu’en 2001 que l’armée de l’air a reçu ses premiers appareils en nombres comptés dont la dotation initiale ne sera toujours pas complétée en 2019 après rabotage de la dernière loi de programmation militaire (LPM 2014-2019) et pour les mêmes raisons. Entre le début et la fin de livraison, des modifications et améliorations substantielles des systèmes d’armes embarqués auront, en outre, alourdi un peu plus le coût réel de chaque unité.
On comprend que le concept de la sophistication et du « luxe » à la française n’ait pas, auprès de la clientèle étrangère, le même succès que celui de nos maroquiniers célèbres. Mais outre les données opérationnelles et économiques, l’achat d’un avion de chasse est aussi un acte politique. L’annonce imprudente et très anticipée de Nicolas Sarkozy de la vente au Brésil, qui vient d’être infirmée, le démontre.
Les mauvaises langues prétendront que l’ultime mission commerciale de François Hollande auprès de son homologue brésilienne a définitivement scellé nos chances ! Surtout, qu’il ne se rende pas en visite en Inde…